Bon, j’ai pris un peu de retard dans la lecture de mes blogs préférés…et il aura fallu que ce soit le blog de l’un qui me rappelle au bon souvenir du blog de l’autre, ou plutôt le contraire, enfin bref, voici où je veux en venir: il y a quelques temps de cela déjà, Dj/Rupture recevait Kode9 dans son émission et entre autres questions, le lançait sur le sujet de JG Ballard et de l’influence qu’on lui attribue sur son propre univers dystopique. Un peu considéré comme un fait établi ces derniers temps, la connexion entre l’écrivain et la scène dubstep surgit quasiment à chaque fois qu’il est question de Kode9 ou de Burial. Kode9 ne confirmait ni refusait la connexion, il faut admettre qu’il y a pire patronage que Ballard. Il relevait toutefois que chaque fois que l’on évoquait Ballard, on semblait vouloir le résumer à « Crash », son plus grand succès/scandale (comme « George Orwell » semble vouloir dire « 1984 » et rien d’autre), alors que lui dit se sentir plus proche des livres de la période « catastrophes naturelles » de l’auteur, dite Les Quatre apocalypses, qu’il écrivit au début des années 60. Il reconnait notamment avoir été profondément impressionné par « The Drowned World » (en français Le monde englouti) et sa vision de Londres recouvert par les eaux, transformé en lagon tropical survolé par des ptérodactyles. Cette interview inspira le magnifique blog Ballardian, expert en toute chose ballardienne, à rebondir sur le sujet, et à mener sa propre enquète, dans un article intitulée a ballardian burial. Cet article survole les multiples occurrences dans la presse musicale de cette comparaison entre les univers sombres et post-catastrophiques de l’écrivain et le sub-bass militant du dubstep, entre le millénarisme de l’un et le rétro-futurisme infrasonique de l’autre, les villes dévastées du premier et le South-London du second.
Simon Sellars, qui signe l’article, termine sur un débat intéressant. Si les comparaisons de la musique de Burial avec celle de Joy Division (ou celles, plus rares, avec le brutalisme synthétique de John Foxx, période « Metamatic« , comme le fait Mark Fisher sur K-punk) se basent sur des similitudes musicales, ou émotionnelles, celles avec l’univers littéraire de JG Ballard sont d’un autre ordre. Cette interprétation conceptuelle de la musique, et cette tendance à associer une musique et une théorie, ou un genre musical et un genre littéraire, se retrouve autant dans le public que chez les journalistes. Il est facile de rejeter cette tendance comme une forme inutile d’intellectualisme, et préférer se cantonner à une approche immédiate, non-médiatisée de la musique, une approche idéale, où la musique parlerait directement au sens, indépendamment des contextes et des rationalisation cherchant à apporter au son une signification. Cette idée de « table rase » et de relation directe à la stimulation du système auditif par le son est un contre-pied intéressant à la déferlante de concepts mal-digérés, qui accompagne souvent la musique électronique dans la presse mainstream. Néanmoins, l’existence réelle de cette musique « pure » est toutefois elle-aussi un débat en soi. Le phénomène de la « colorisation » de la musique par la conceptualisation et la théorisation, est principalement visible dans le cas de musiques comme le dubstep, évoluant de plus en plus vers l’abstraction, à mesure que les éléments concrets qui le raccrochaient à la fonction dansante d’origine s’atténuent. Il est bien sûr question d’influence, d’inspiration, et non de relation directe. Comme le dit Sellars: « Cela m’a beaucoup plu d’apprendre les influences de Steve (Goodman, aka kode9) et cela m’a beaucoup intéressé de voir comment cela filtrait dans la creation de son et de musique, mais je ne suis pas sûr qu’il soit possible de discerner des themes ballardiens dans la musique de kode9 et encore moins de Burial sans connaitre le contexte de sa création. Ceci dit, j’adore me plonger (et je ne pourrait en fait pas m’en passer, malgré la tentation de la tabula rasa) dans le réseau contextuel qui entoure l’oeuvre: la théorie m’inspire et élargit le champ de l’expérience d’écoute. » Il est impossible de détacher une oeuvre de son contexte, de fermer les yeux pour écouter de manière pure, immaculée, intouchée par le contexte. Même si ce contexte est une fiction. Le mythe entourant l’oeuvre, l’imaginaire qu’il convoque, est son aura, au même titre que la musique elle-même. Les musiques les plus abstraites sont celles qui font le plus intervenir la spéculation, la construction par l’imagination d’un cadre de référence, d’une grille de lecture. Le mythe du dubstep, par exemple (indépendamment de cas particuliers comme burial et kode9) est l’histoire de ses origines, la répétion incessante de sa genèse, de ses fondations. Comme la techno avant lui, qui ressassait l’histoire de sa Création, avec le mythe de Détroit et des pères fondateurs (un mythe que conteste par exemple Simon Reynolds, dans son livre « Energy Flash », en rappelant l’importance de Chicago dans l’émergence de la techno), le dubstep conte inlassablement le souvenir de Croydon, racines et contexte, berceau de son avènement. Si le mythe est vrai ( ou dirions-nous « basé sur des faits réels »), sa répétition continuelle en fait une litanie, un credo perpétuel qui semble pouvoir tout expliquer, tout justifier. Comme tout mythe créationniste, il remplace l’analyse par la fiction, par une histoire sacrée, performative à l’intérieur de la culture.
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