Guy Sherwin – Optical sound films 1971-2007

C’est d’abord le titre qui m’a attiré, bien sur : optical sound film, une technique consistant à produire du son à partir de l’image, à partir du matériau brut de la pellicule cinéma. Détournement de matériel, passage du visuel au sonore, bricolage, musique brute, tout pour me plaire. Et puis je me suis souvenu avoir assisté à une de ses rares performances, en 2007, lorsqu’il fut invité par le Palais des Bozar. Son travail d’alors était un étrange mélange de formalisme sévère et de bricolage ludique. Quelques-uns des films projetés dataient de plusieurs années mais le principe selon lequel ils était montrés était plus récent. Ses films, même les plus abstraits et froids, devenaient, de par le dispositif de projection, en plusieurs superpositions sur un seul écran, des improvisations captivantes jouées « live » sous nos yeux tour à tour amusés ou ébahis.

Comme l’indique le livret, les films présentés dans ce dvd rétrospectif sont « des films produits sans caméra ; image et son sont produits par grattage, perçage et collage (scratching, punching and sticking).» Le premier exemple est le plus ancien et le plus simple : un ruban de pellicule noire est percé à intervalles réguliers, et une griffe est faite sur la piste sonore avec un intervalle différent. Le film projeté est un flicker, une boucle stroboscopique où l’apparition périodique d’un éclair lumineux est accompagné par un son brut, basique, primitif. Progressivement les deux perceptions se décalent, son et image se séparent, l’un à la traîne, l’autre semblant prendre le large. Un beau début, simple et complexe à la fois, posant déjà la question qui allait revenir au film des films de Sherwin : pourquoi l’oreille croit-elle ce qu’elle voit ? Pourquoi les sens semblent-ils fonctionner ensemble, alors qu’ils traitent des données différentes, parfois contradictoires, comme ici.

Guy Sherwin a étudié la peinture à la Chelsea School of Art dans les années soixante avant de se lancer dans le cinéma expérimental. Ses premiers films, qui l’occuperont durant toutes les années septante, seront du type de l’exemple décrit ci-dessus, des films complexes basés sur une idée simple, souvent sur une idée unique. C’est à la même époque que les sciences développaient leurs théories du chaos et de la complexité. On y démontrait très poétiquement qu’un battement d’aile de papillon pouvait provoquer des raz de marée. Selon le même principe, les films de Sherwin partent d’un motif simple, d’un effet unique, qui répété à l’infini, produit des effets complexes, parfois imprévus. La plupart des films de ce dvd, parmi les oeuvres les plus anciennes de Sherwin, sont basés sur des formes simples, des alternances de noir et blanc, des processus à répétitions, des accumulations. Ils montrent le parti qu’on peut tirer de matériaux réduits et de procédés systématiques.

Quelques-uns de ses films acquièrent une dimension poétique de par leur matériau de base, comme les quelques travaux utilisant le langage, ou ceux, reproduits ci-dessus, prenant comme point de départ du texte, traité de manière abstraite, pour sa forme, sa couleur (noir sur blanc) et son statut, entre le sonore et le signifiant. Des bandelettes découpées dans un journal sont collées sur de la pellicule vide puis projetées comme un film. Le résultat est d’autant plus hypnotique que le cerveau tente désespérément de saisir le sens des phrases, des mots, des lettres, qui défilent à toute vitesse devant nous, brisées, hachées, privées de leur substance, sinon de leur matière. Quelques arrêts sur image jouent un rôle d’intertitre, ou de gros plans, révélant la texture du papier, celle de l’encre, et quelques lettres, pour ensuite repartir de plus belle.

Aujourd’hui, Guy Sherwin se concentre plus sur des dispositifs de projection, transformant son cinéma expérimental en réelle performance, en happening. Il utilise à présent plusieurs projecteurs qu’il manipule en temps réel, variant la vitesse, la focale, y ajoutant des filtres de couleur… Chaque projection est unique, chaque vision est différente. Il a également ajouté à son répertoire le très beau film suivant: « man with mirror », mise en abime d’une mise en abime d’une mise en abime…

2 Réponses to “Guy Sherwin – Optical sound films 1971-2007”

  1. Cet article est, comme beaucoup de ce blog , très intéressant de par son approche documentaire.
    J’aime beaucoup le côté éclectique, dans le bon sens du terme, des approches musicales, sonores, bruitistes, très ouvertes sur les pratiques contemporaines transmédia.
    Dommage que les couleurs de fond de page rendent très difficile la lecture des textes, pour moi en tous cas.

    Gilles
    http://desartsonnants@over-blog.com

  2. globeglauber Says:

    « man with mirror » de GUY SHERWIN est un de mes tout tout grands souvenirs de cinéma expérimental – et de cinéma, tout court -.
    (xavier garcia l’avait proposé au bozar il y a qq années)

    sinon, il y a une rencontre avec guy sherwin à gand dans le cadre du festival ‘courtisane’ ce venrdedi 24 avril.
    il y parlera e.a de l’installation ‘film feedback’ de tony conrad de 1974 et y passera qq courts métrages personnels de 1972 à 2005
    >> http://www.courtisane.be/artist-in-focus-guy-sherwin.html

    gLgL

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