Une histoire de vent – Joris Ivens


Dernier film de Joris Ivens, « une histoire de vent » est une épopée fantasmagorique du réalisateur parti dans le désert mongol à la recherche du vent. Enregistrer le vent, comme vous le diront tous les amateurs de prise de son, est une des choses les plus difficiles à mener à bien. Le vent, ennemi naturel du preneur de son, qui le maudit durant toute sa carrière pour les tracas qu’il lui cause et les prises qu’il lui ruine, est paradoxalement un chose extraordinairement délicate à capturer sur bande. Plusieurs musiciens/techniciens s’en sont fait une spécialité, c’est le cas de Chris Watson, bien sûr, ou de Bj Nilsen (alias Hazard), et aussi d’Isobel Clouter pour son projet autour des sables chantants. Dans ce film, Ivens va s’asseoir sur une dune pendant des jours et des nuits dans l’espoir de pouvoir non seulement l’enregistrer mais aussi le filmer.


Joris Ivens a nonante ans lorsqu’il entame le tournage d' »une histoire de vent », sa santé est fragile, son asthme le fait souffrir, la chaleur l’accable, il s’épuise vite. Il s’effondrera plusieurs fois à l’écran, dans son personnage autobiographique mais décalé du « cinéaste ». La recherche du vent prendra plusieurs formes, successives: celle du souffle, si important pour un asthmatique, celle du souffle vital des pratiquants de Taï Chi, ou de Gi Qong, celui encore des légendes chinoises anciennes, empereurs célestes, rois singes et princesses de Lune , qu’Ivens va collecter, documenter, mettre en scène, détourner. Cette quête va faire du film, comme le dit Claude Brunet « une réflexion profonde sur la beauté, la fragilité et l’imprévisibilité de l’existence humaine que symbolise le vent ».

Dans un entretien accordé à Frédéric Sabouraud et à Serge toubiana, Ivens disait ceci : « Ces dix dernières années, j’ai beaucoup repensé à mon travail antérieur, à ce à quoi j’ai cru, les utopies, les idéologies très figées ; et le vent, je crois, emporte tout ». Cinéaste engagé, militant contre la guerre du Vietnam, pour la décolonisation, pour la dignité des travailleurs, militant communiste attiré par le maoïsme chinois, il réalise ici un film en marge des luttes qui l’ont animé jusque là. Coréalisé avec sa complice et compagne Marceline Loridan Ivens, le film nous le montre serein, vieillard alerte et magnifique, calme et presqu’assagi, même si la colère est encore là, prête à bondir. Ce sera le cas dans une très belle scène, où Ivens doit affronter la bêtise administrative de la bureaucratie chinoise, afin d’obtenir l’autorisation de filmer dans le musée  renfermant les célèbres statues de terre cuite de l’empereur Qin. Affrontement verbal, filmé comme en cachette, on y verra le cinéaste s’indigner, se fâcher, s’époumoner, en vain. Il aura toutefois le dernier mot à l’écran, s’offrant  une armée entière de reproductions  grandeur nature, le secondant dans un grand et digne bras d’honneur à l’imbécilité des petits chefs.

Car si Ivens est fasciné par la Chine, et s’il a longtemps soutenu la chine nouvelle du maoïsme (comme le montre sa série de films « Comment Yukong déplaça les montagnes« , tournés entre 1971 et 1975), il n’en est pas pourtant un défenseur aveugle, un converti larbin. Son affection va au peuple, à l’humain. Ses relations avec le pouvoir, avec l’autorité et sa bureaucratie ont toujours été conflictuelles, que ce soit en Russie Soviétique, aux Etats-Unis, en Indonésie, chez lui aux Pays-Bas, ou ici en Chine. Ainsi, malgré les grandes différences d’approche entre ses films chinois, propagande spontanée et avouée pour le collectivisme et le communisme chinois, et « Chung Kuo, la Chine », le film d’Antonioni, voué à l’autodafé par le pouvoir, Joris Ivens refusera catégoriquement de s’associer, comme on lui demandait, au concert de condamnations d’Antonioni.

« Une histoire de vent » est un film de philosophe autant que d’artiste rêveur, c’est un film sur l’attente, sur la patience. Connaissant son sujet, le vent, de par sa jeunesse au pied des moulins, et pour l’avoir déjà traqué, pour son film sur le mistral, et sachant son imprévisibilité indomptable, Joris Ivens s’y apprête avec une sagesse toute orientale, une sérénité calquée sur celle des grands maîtres qu’il rencontre dans son périple. Il sait qu’il va devoir attendre, longtemps, le bon vouloir des éléments, qu’il va devoir se plier à leur caprice, se conformer à eux, devenir comme eux. Mais il va devoir pour celà trouver une patience au-delà de la patience, par-delà l’attente, jusqu’à un moment où malgré toute sa sagesse nouvellement acquise, Ivens ne veux plus qu’une chose, aboutir, quitte à tricher, recourir à tous les procédés, y compris la sorcellerie,  pour le dompter, ce vent, pour l’appeler et le capturer, enfin.

Dans un entretien qu’il nous avait accordé (j’étais avec Frédéric Sabouraud), Ivens disait ceci : « Ces dix dernières années, j’ai beaucoup repensé à mon travail antérieur, à ce à quoi j’ai cru, les utopies, les idéologies très figées ; et le vent, je crois, emporte tout ».

Une Réponse to “Une histoire de vent – Joris Ivens”

  1. Christian Marcipont Says:

    La seule idée que l’on puisse filmer le vent, comme André Dhôtel faisait un portrait du ciel, me bouleverse.
    Christian Marcipont

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